Les Rencontres de la vidéo mobile et de l’innovation éditoriale à Paris ont réuni quelques centaines de journalistes, communicants et marketers. Cet événement incontournable a réussi son déménagement et son focus sur l’innovation éditoriale.
1. La vidéo sur smartphone percole à grande vitesse
Je me souviens d’une phrase de Francesco Facchini aka Italian Mojo entendue à Paris lors de la première édition des Rencontres:
« Quand je filme à l’iPhone, on me regarde comme Forrest Gump. »
Effectivement lors de ma toute première interview en Cour d’Assises filmée à l’iPhone, un avocat m’avait demandé si Matélé rencontrait des difficultés budgétaires…
Aujourd’hui les tournages à l’iPhone intriguent encore un peu, mais l’usage percole dans les rédactions malgré les freins au changement et de légitimes doutes initiaux sur la pertinence d’un gadget. Les progrès technologiques fulgurants des smartphones et le développement d’apps stables et utiles ont favorisé le changement de mentalité.
Organisateur des Rencontres, formateur et pionnier du « mobile journalism », Philippe Couve, confirme que c’est rentré dans « l’ordinaire », de manière partielle par exemple à RTL-TVi, et de manière totale à BFM Paris, BFM Lyon. Mais il y a des limites:
Leonor Suarez est une early adopter du smartphone et a remporté un prix international pour un reportage sur le travail dans les mines en Bolivie. Elle est une quasi inconditionnelle du smartphone et souligne ses avantages:
Toujours au rayon mojo « pur », Laurent Clause, créateur du réputé Mooc des Gobelins, a présenté quant à lui trois kits mojo, un minimal à 70€, un pro à 250€ et un superluxe à 1.750€: toutes les infos en cliquant ici vers le blog de Laurent.
2. Des rédactions vraiment engagées
Sandrine Thomas, directrice de rédaction de La Montagne, un quotidien français qui a fêté son centenaire en 2019, a raconté comment le journal a renoué avec l’engagement après avoir constaté une désaffection des lecteurs. L’engagement n’est évidemment pas politique mais au profit d’une cause territoriale. Exemple: la desserte SNCF en région.
La Montagne a véritablement fait campagne pour une meilleure desserte, et a même lancé une pétition qui a recueilli des milliers des signatures, au point de faire venir le CEO de la SNCF à Clermont-Ferrant pour une interview face aux lecteurs de La Montagne, et de forcer la SNCF à réinvestir dans la ligne vers la région de Centre France.
Plus étonnant encore: la Radio Télévision Suisse a ciblé la commune avec le plus faible taux de participation électorale du pays et s’est fixé comme objectif de faire remonter la participation à 50%. Pendant six semaines, 2 journalistes ont ouvert un local de campagne à Moudon, ont fait du porte-à-porte et ont même engagé la fanfare locale pour les accompagner. Résultat: 46% au lieu de 36%, mais surtout une émission télé et un récit journalistique peu commun et tranchant avec les couvertures les plus originales d’une élection locale.
3. Pimp my newsletter
La newsletter, on le lit et on l’entend depuis un an ou deux, c’est à nouveau tendance. Le groupe Centre France, par exemple, a souligné le succès de sa newsletter sur les municipales, une newsletter éditorialisée (pas seulement automatisée): 5.000 abonnés avec un taux d’ouverture de…60%.
Jean Abiateci, journaliste free-lance, a présenté les avantages d’une newsletter lors d’un atelier:
- elle est low tech
- elle est relationnelle (personnalisation du nom et des contenus)
- c’est un produit fini qui se lit en X minutes (contrairement au flux des RS)
- elle est « rare » (cad périodique) par rapport à nouveau au flux d’infos
- c’est un rendez-vous
- elle est concise.
A retenir de son intervention:
- la newsletter automatisée et sans identité est condamnée.
4. L’humour tente les journalistes
Une tendance déjà remarquée au Festival de l’Info Locale avec La Charente Libre et La Montagne: le fait que des journalistes s’essaient avec plus ou moins de bonheur aux codes de YouTube.
Exemple avec La Charente Libre:
Exemple ici avec La Montagne:
A Paris, Marc de Boni a montré qu’il y avait moyen d’aller plus loin encore: quitter un poste de journaliste au Figaro et co-fonder une chaîne YouTube « Et tout le monde s’en fout ».
En trois ans, la chaîne a fidélisé 500.000 abonnés. C’est l’effet d’une stratégie, pas un coup de bol:
L’ère de l’ado qui bidouille une vidéo dans sa chambre, c’est fini. Chaque épisode chez nous est le fruit de 15 jours de préparation, de recherches, de tournage et montage. Puis il y a le travail de community management qui représente un tiers du job.
Le succès est au rendez-vous mais ne rapporte rien ou pas grand-chose. YouTube sert de vitrine à la marque « Et on s’en fout », qui produit aussi un spectacle, vend des livres, propose des conférences et des séances pédagogiques dans les écoles.
5. Oui, Arte est sur Snapchat (et ça marche)
La chaîne « sérieuse » aime les nouveaux formats RS et le prouve. Lama Serhan, responsable création et production RS pour Arte France, a avancé quelques chiffres qui donnent le tournis: en six mois, le compte Arte FAQ a atteint 100.000 abonnés et touche jusqu’à 800.000 personnes par épisode. Cible: les 18-25 ans. Evidemment, comme l’a expliqué Lama Serhan, le succès n’est pas avec une vidéo de 30 minutes sur la Seconde Guerre Mondiale. Exemple de leur dernière production:
Lors de l’échange avec des collègues de Slash et de Gentside / Oh my mag, Lama Serhan a confié qu’elle envisageait très fort d’investir Twitch, plateforme de live plutôt orientée gaming mais pas que, avec un produit sur… la littérature!
« Mais je n’irai pas sur Twitch sans avoir passé des semaines pour comprendre les codes et créer un format adapté. Le plantage de Webedia est là pour rappeler que si vous investissez une plateforme sans les codes appropriés, vous vous faites jeter. »
6. Les groupes Facebook, ces communautés sous-estimées
A Matélé, on adore les communautés Facebook, au point d’en avoir créé 15 (dont certaines atteignent un habitant sur quatre à certains endroits) et de rassembler des animateurs de groupes Facebook en nos locaux.
J’ai donc suivi avec intérêt ce retour d’expérience Noémie Buffault, experte en communication numérique, qui a expliqué comment elle a utilisé les groupes Facebook de tout un département pour diffuser une campagne anti-tabac locale:
Classiquement, on aurait pu proposer de créer une page Facebook, un compte Insta, etc. Nous avons préféré contacter tous les groupes Facebook locaux qui pouvaient avoir une thématique connexe au tabac: les groupes sur la santé et le bien-être, évidemment, mais aussi tout ce qui a trait à l’environnement: zéro déchet, permaculture, etc. On est allé jusqu’à cibler les groupes sur la parentalité, aussi un excellent motivant pour arrêter de fumer, de même que les groupes qui mettent les économies au centre de leurs préoccupations: covoiturage, trocs, etc. A chaque fois, on a observé les groupes, et on a contacté leurs admins pour leur proposer des messages très ciblés par rapport à leur groupe.
Cette méthode, qu’elle appelle « la méthode du coucou » (pondre dans le nid des autres), permet de s’appuyer sur de fortes communautés pré-existantes, aux identités déjà bien façonnées, et d’atteindre des dizaines de milliers de Facebookiens avec zéro euro de budget de sponsoring. Je lui ai demandé comment les médias pourraient s’inspirer de sa démarche:
7. Quand ça marche, faites une suite
Entendu aussi à plusieurs reprises, ce conseil de pros de l’innovation: quand un format « ne prend pas », ne vous obstinez pas. Sur le web, l’intérêt est de connaitre immédiatement les chiffres de diffusion: alors si un nouveau format vous semble extrêmement prometteur mais qu’il n’intéresse pas votre audience, passez vite à autre chose.
A l’inverse, quand quelque chose marche, pensez à une suite. Il y a parfois d’excellentes surprises sur des opérations pensées one-shot. C’est qu’explique Nicolas Becquet de L’Echo qui a testé un format d’une inventivité immense: le « factif ». La rédaction de L’Echo a abordé le phénomène du burn-out en inventant un dialogue entre personnages fictifs correspondant aux données récoltées lors d’une enquête universitaire.
Ce « factif » a été consulté en ligne par 50.000 personnes, mais voici le plus important: un questionnaire d’évaluation personnelle de son risque au burn out accompagnait le factif. Il a été complété par 8.200 personnes malgré sa longueur (20 minutes…) L’enquête universitaire a ainsi doublé sa population, et L’Echo a compris qu’il y avait une carte à jouer: il y aura probablement une suite, sous forme peut-être de newsletter RH aux abonnés de L’Echo.
Diederick LEGRAIN
Une réflexion sur « Rédaction engagée, humour, vidéo mobile, newsletter: quelques innovations et tendances vues à Paris »